Un café avec Flor

One Piece, son enfance à Los Angeles et ses envies de devenir écrivaine ou scénariste. Le cerveau bouillonnant d’idées, Flor Jorge est une artiste à la boulimie créative. A mi-chemin d’une tournée européenne, la jeune chanteuse se confie sur son enfance dans une famille où la musique avait une place toute particulière, son envie de déménager au Brésil et ses rêves pour plus tard.

Crédits : Maria Paula Freire

En 2003, après avoir tourné dans le nouveau film de Wes Anderson La Vie Aquatique, dédié à Jacques-Yves Cousteau, dans lequel il tient le rôle de Pelé Dos Santos et réalise la bande originale, Seu Jorge se rend à Paris. Dans ses bagages, sa fille Flor, à peine âgée d’un an. Dans un bar du 11e arrondissement, où elle joue le soir-même devant un public privilégié, on retrouve la jeune chanteuse qui croise de vieilles connaissances, 22 ans plus tard. Des amies de la famille qui ont vu l’un des enfants de Seu Jorge devenir une artiste en devenir, lancée par un EP, “Prima”, qu’elle défend lors d’une tournée européenne. Un court disque fait avec les moyens du bords, quelques amis, de multiples influences puisant autant dans les accords de bossa, Yoruba, MPB ou Hip-Hop. « Nous étions très expressifs et très, très enthousiastes. C'est pourquoi le nom du projet est Prima, comme “primavera”, le printemps, ou “primera”, le premier, le commencement. Une manière de dire : ‘Voici le commencement. Voici une supernova d'idées.’ C'est ainsi que ce projet a vu le jour », décrit-elle, attablée autour de verres de bissap.

Installée à Los Angeles, une ville qu’elle clame vouloir quitter, Flor Jorge est comme tout membre de la génération Z qui a du goût une fan du manga One Piece, à qui elle dédie un morceau. « Je ferais n’importe quoi pour ce manga », sourit-elle, n’hésitant pas à se moquer de mon retard sur les scans. S’ensuivit une digression pour juger des choix de personnages favoris de l’autre. Parmi les personnages créés par Eichiro Oda, la Brésilienne se rapproche d’ailleurs du héros principal, avec lequel elle partage ce regard pétillant, un sentiment d’hyperactivité et un sourire signifiant l’alacrité. Flor a le sens du récit. De ses péripéties à vélo dans Paris, où elle jure avoir frôlé l’accident à plusieurs reprises, à l’impossibilité d’avoir, comme à Paris, des supérettes en bas de chez soi à Los Angeles.

La culture japonaise lui est également parvenue par bribes de jazz local. « Le fait est que j'ai également été fortement inspirée par la culture japonaise, le jazz japonais et tout ce mode de vie. J'ai donc intégré certains de ces éléments dans ma musique. Et tout ce qui m'inspire dans la vie. Tu sais, la musique m'inspire. Si j'entends quelque chose qui a du sens d'un point de vue philosophique ou naturel, je me dis : « Ok, je vais écrire quelque chose à ce sujet. »

Un héritage riche, mais un regret puissant

Fort d’un héritage musical plus que riche, elle fût bercée par Notorious B.I.G. et Bowie, citant également « une passion intense pour le jazz, dont celui du Brésil et des Etats-Unis ». Avant de synthétiser : « Ils ont joué tellement de chansons différentes, y compris de la musique turque, je crois. Et la liste est encore longue. Mais je pense qu'au fur et à mesure que je grandis, je me vois en quelque sorte m'intégrer à ces styles. Dieu merci, j'ai été exposé à beaucoup de types de chansons et de musique différents, ce qui m'a préparé au choc culturel que représentaient les États-Unis. » Toutes ses références, l’artiste de 23 ans souhaite désormais les infuser dans ses morceaux. A vrai dire, ce premier EP est un joli fouillis d’inspirations et d’écoles de musique, gardant ainsi le même schéma intuitif et insouciant qu’à l’époque de ses premiers textes. A 7 ans, déjà, le présent l’obsède. Son stylo accouche ses pensées sur ses expériences, l’école, les aléas. « Si j’avais eu du mal à me réveiller pour aller à l’école, le lendemain j’écrivais des paroles sur le fait d’arriver en retard à l’école. Enfant, j’écrivais simplement des poèmes en les chantant très fort chez moi. »

Un regret l’habite, celui de n’avoir jamais appris à jouer d’un instrument. Comment expliquer cette absence de transmission d’un virtuose de la guitare ? « J’aurais aimé qu'ils me poussent plus à la pratique des instruments, mais c’est aussi génial qu’ils ne l’aient pas fait, parce que ça m’a permis de ne ressentir aucune pression. » Une forme aussi de protection face au poids de l’héritage. L’une des rares fois où Flor a utilisé un point de vue extérieur dans un de ses morceaux, elle l’a fait pour parler « essentiellement du désir de réussir dans l'industrie musicale sans être quelqu'un d'autre que soi-même ». Elle ajoute: « Et sans se vendre, dans une certaine mesure. »

Un retour aux racines

Et pourtant, malgré un caractère semblant impavide, la chanteuse ne cesse de s’interroger sur sa carrière et son avenir. “Une autre carrière que dans la musique ? J’y pense tout le temps. J’aurais aimé être peintre, parfois je me demande aussi ce que ma vie aurait été si j’avais été avocate. J'ai réfléchi à tout ce que je pourrais faire d'autre que ce que je fais actuellement. J'ai passé beaucoup de temps à y penser. » A ce jeu, vivre dans la ville affichée comme le temple de la créativité n’aide pas. « Los Angeles est comme une île sur laquelle on trouve les meilleurs et où l'on peut réaliser ses rêves. Mais il y a certaines règles et certains codes. Il y a une certaine dynamique, une sorte d'échelle avec toutes sortes de choses différentes. Cela rend de plus en plus difficile pour les artistes émergents de percer sans argent, sans réseau pour les aider. C'est incroyable que j'aie un réseau qui me soutienne et m'aide. Je suis très privilégié de ce point de vue. Mais en même temps, même mon réseau ne suffit pas pour franchir ces barrières. Si vous allez à Los Angeles, c'est déjà tellement mieux si vous avez une carrière musicale bien établie. Ce n'est pas mon cas. Je n'ai jamais fait de clip vidéo. Je n'ai pas vraiment d'EP. Je ne sais pas exactement ce que je fais avec mon son. Je mélange juste des trucs et je teste des choses. »

Sa famille a fait son possible pour éviter la pression de l’assaillir dans une industrie aussi brutale que peut être celle de la musique. Néanmoins, « la seule pression que cela me procure vient de moi-même, de mon désir d'être acceptée et respectée dans le monde de la musique, d'être comprise et de me sentir à ma place », explique la jeune artiste. Parfois, j'ai l'impression que je dois être encore plus créative que je ne le suis. Au lieu de simplement suivre mon cœur et de savoir que tout ce que je fais est bien. » La créativité n’y est pas prise au piège, assure celle qui affirme avoir 12 millions d’histoires et de scénarios dans la tête, et qui souhaite plus que la musique, écrire également des livres ou des films. La prochaine escale créative pour ce faire se trouve dans le pays d’origine de ses parents : le Brésil. Avec la quête de s’y faire un nom avant d’avoir une chance de ne plus avoir besoin de s’en faire un à Los Angeles.

Propos recueillis par Arthus Vaillant

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