Oscar Emch: “C'est la première fois que mes textes ont autant résonné avec mon public”

Oscar Emch est un artiste toulousain, chanteur, compositeur et producteur, qui s’est imposé comme l’une des figures montantes du R&B et de la néo-soul francophone. Formé au jazz et aux musiques actuelles, il a su fusionner ses influences pour créer une musique à la fois organique et moderne, mêlant groove, introspection et poésie en français. Après des débuts avec le groupe La Recette et des collaborations remarquées avec Enchantée Julia, Bolides ou Luidji, Oscar Emch a lancé sa carrière solo avec l’EP Portrait Craché en 2020, suivi de Respire (Bye Bye) en 2022. Ses morceaux, tels que “Fais les danser” ou “Coup de fil”, témoignent d’une sensibilité musicale singulière, entre chaleur soul et élégance pop. En 2021, il a été sélectionné au Chantier des Francofolies de La Rochelle, confirmant son statut d’artiste à suivre sur la scène française. Son premier album Ma Voix sorti le 7 mars 2025 est un véritable journal intime qui nous plonge dans l’univers d’Oscar. Entre insécurités, doutes et accomplissement, le chanteur a ouvert son coeur à travers des textes raffinés et ses propres compositions. Pour cette occasion, Oscar Emch se confie à Shimmya. 

À quoi aspirais-tu durant la période qui a suivi ton dernier EP sorti en 2022 et précédé l’album Ma Voix ? 

Initialement, j'étais parti sur un troisième EP. Comme j'en avais déjà fait deux, je m’étais dit que je maîtrisais tout. À cette période-là, j'en ai pas mal discuté justement parce que j'avais commencé à faire quelques démos,  j'avais deux ébauches de morceaux mais qui ne me convenaient pas tant que ça. Puis, j'ai eu une discussion avec Enchantée Julia et Moussa (Prince Waly) m'a dit: “Je pense que c'est bien si tu fais un album, tu vas voir, ça va t'ouvrir quelque chose, même au niveau médiatique. Ce n'est pas accueilli de la même manière, c'est mieux considéré, d'une certaine manière, c'est un événement qui est plus marquant.” Je n’avais pas pris la mesure de ces éléments. Mais, je n’avais également pas pris la mesure du travail que ça représente. C’est un objet tellement différent qu’il demande un travail beaucoup plus important. En 2023, j'ai eu l'occasion de travailler sur plein d'autres albums. Notamment Saison 00 de Luidji ou BO Y Z Volume 2 de Prince Waly sur lesquels j’ai pu voir comment un album se construisait, ça m'a donné plein d'idées. Ce travail m’a permis de comprendre, d’abord, par où commencer. C'était un bon timing parce que je me suis rendu compte que je n’étais pas armé pour faire un album moi-même. D'autant plus que je produis mes propres morceaux, donc ça veut dire que je dois tout faire tout seul. Je dois écrire, composer, produire, enregistrer. Je joue la majorité des instruments sur mon album.

Une caractéristique que tu partages avec d’autres artistes comme Thundercat d’ailleurs. Autrement que sur la production d’un album, des artistes et musiciens t’ont particulièrement inspiré dans ta composition musicale sur cet album ?

Ouais, sur cet album-là particulièrement. L’artiste qui m'a le plus choqué, c'est Dijon. C'est ce qui ressort le plus musicalement. Certaines personnes m’ont rapproché de Mk.gee, parce que forcément j'ai un son de guitare qui peut rappeler sa musique mais j’ai l’impression que, comme il y a beaucoup de couleurs folks et de guitares acoustiques dans un univers qui reste plutôt R&B, ce sont des artistes comme Dijon ou Frank Ocean vers lesquels je me dirige le plus. Un morceau comme “White Ferrari”, je ressens cet univers un peu americana/folk music. La musique de Daniel Ceasar aussi. Sur un morceau comme “Jamais Personne”, je sais que je pensais vraiment à ses balades. Pendant longtemps aussi j'écoutais beaucoup de Brent Faiyaz parce que j'ai eu envie, à un moment donné, de donner un twist plus OG. Je suis plutôt parti sur des couleurs plus acoustiques, j'ai passé beaucoup de temps à redécouvrir la Motown. Dans mes routines musicales,  j'aime bien apprendre des morceaux. J’en apprends de Stevie Wonder et, pour moi, c'est un point d'accès à plein d'autres artistes, que ce soit Curtis Mayfield, Marvin Gaye, Sly and the Family Stone. Clément (Caritg, ndlr) avec qui on a réalisé l'album au Studio Noble, on s'est rencontré sur la réalisation de l’album Saison 0 de Luidji, et on avait envie justement d'une couleur musicale qui rappelle la Motown. C'est-à-dire des instruments joués en vrai, par des vrais instrumentistes, un son un peu plus intemporel et qui n'est pas sorti d'un ordinateur.

Quels ont été les moments les plus marquants au studio pendant la réalisation de cet album?

Je me suis rendu compte que quand j'ai commencé à enregistrer, dans la cabine, je n'étais pas du tout content de mes prises de voix. Il y a des morceaux que j'ai dû refaire trois fois du début à la fin. J'étais pas du tout habitué à l'univers acoustique. Habituellement, je faisais mes prises de voix seule chez moi, donc j'avais du mal à fixer les choses et à trouver la bonne énergie, la bonne intensité et la bonne intention. Je me suis rendu compte que c'était un travail que je n’avais jamais fait jusqu’à présent. Ce moment a été dur, mais il m'a permis de prendre conscience du travail qu'il y avait à faire. Donc, je savais que si j'arrivais à dépasser ça, après je serais vraiment en confiance. J'ai l'impression que cette expérience en studio m'a aidé à faire des choix musicalement. On enregistrait avec le piano acoustique qu'il y a là-bas (au studio Noble) et c’est un piano d’une marque allemande - le piano acoustique qu'utilise Daniel Ceasar quand il enregistre dans ses studios (rires). Donc, je me suis dit : “Esprit de Daniel, descend en moi.” (rires). Il y avait aussi une basse qu'il avait achetée à Paris et qu'il ne pouvait pas prendre dans son avion donc il l'a laissée au studio. C'était hyper cool, parce que c'était la première fois que j'enregistrais un piano sur un de mes disques. Je suis plutôt guitariste de base, mais ça fait quelques années que je travaille beaucoup le piano. J’étais vraiment fier d'arriver à faire un truc convaincant au piano.

Tu avais confié dans un précédent entretien accordé à Shimmya avoir mis longtemps à te faire confiance vocalement. Avec ce titre d'album Ma voix, on peut désormais penser que tout ce travail est derrière toi.

Je ne dirais pas qu'il est derrière moi, mais j'ai bien avancé sur ce point. C'est l'une des thématiques principales de cet album. J'ai appelé l'album Ma voix parce que c’est l'élément qui symbolise tout mon travail de confiance en moi, que ce soit sur scène ou dans la vie de tous les jours. Dans les morceaux comme “Country”, “Balade au lac”, et “Ma Voix”, j'aborde ces thématiques, les problèmes d'élocution que j'ai toujours un peu aujourd’hui et que j'avais beaucoup quand j'étais petit. Ils m'empêchaient d'être avec les gens, de sociabiliser. Le chant a été un moyen de débloquer ces choses. L'apprentissage du chant a mis longtemps parce que j'ai longtemps essayé de le faire tout seul. Depuis quelques années, je prends des cours et ça m'aide beaucoup. C'est une quête musicale mais aussi personnelle. Je crois que j'ai commencé à vouloir chanter vers 2013, 2014. Je n'aimais tellement pas ma voix que j'écrivais des chansons que je ne voulais pas chanter donc je demandais à mon batteur de les chanter pour moi. Après, petit à petit, je me suis dit : “Bon, quand même, je vais essayer de m'y mettre.” J’ai commencé à chanter en anglais parce que je n'arrivais pas à trouver mes mots en français. Petit à petit, j'ai pris confiance. Même être sur scène, c’était une source d'anxiété. Ce n’est que depuis 2023 que je commence à me sentir bien et que je prends du plaisir sur scène.

Tu avais posté plusieurs photos sur ton Instagram d’un shoot lié à ton album. Comment as-tu su quelle était la photo idéale pour la cover de ton album?

Quand on a abordé les visuels de l'album, on avait à cœur de créer des moments sincères avec de vrais moments de vie. Cette cover a été shootée le jour où on a fait le clip du morceau de “Mumu”. Pour ce clip, je voulais refaire un karaoké comme je faisais pour fêter mes anniversaires. J’ai donc invité des potes, on a pris la maison de parents d'un pote. Sur le tournage, on s’est dit qu’on allait en profiter pour faire des photos en plus. Dans le lot, il y avait celle de la pochette. On s’est dit qu’elle était cool. Il y a une certaine intimité avec la guitare, le lit, les cadres… On voulait un truc qui soit simple et donner quelque chose d'accessible.

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C’était une volonté depuis le départ de ne faire aucune collaboration dessus ?

Non. Même, plutôt l'inverse. J’ai passé tellement de temps à essayer de tout faire par moi-même alors que je voyais que quand je travaillais sur l’album de Luidji qu’il écrivait ses textes et faisait ensuite confiance à d’autres. Chacun a son corps de métier et doit gérer son truc. Dès le départ je m’étais dit qu’il fallait que je prenne un peu de recul sur ça et que je m'éparpille pas. Il fallait aussi que je sache m’entourer. On a organisé des résidences. Durant l’une d’elles, chez les parents de mon pote Keight, Luidji et Ryan Koffi sont passés. On allait se balader au lac et ça a donné le titre “Balade au Lac” (rires). Je pense que ça nous a mis dans un état d'esprit qui était très créatif et très cool aussi. Le simple fait de pouvoir passer des moments de vie avec d'autres artistes que je ne vois sinon que dans des contextes professionnels, ça donne plus de sens à nos relations respectives. Pour le morceau “Lowkey”, il y a une version qu'on avait commencé avec Luidji en se disant qu’on pourrait faire un feat dessus. Seulement, au fur et à mesure que l'album avançait, je me suis rendu compte qu’il devenait beaucoup plus personnel et intime. C’était peut-être un peu plus difficile d'intégrer des gens à l'intérieur. S’il n’y 'a pas de feats, je suis paradoxalement beaucoup moins seul que sur les deux EPs précédents, parce que Keight, Lyes (Kaci, ndlr) et Clément ont participé.

Justement, peux-tu nous parler du travail mené avec tes deux producteurs, Keight et Lyes Kaci?

À la base, quand je compose mes morceaux, je suis chez moi dans ma chambre. J'ai mes synthés, ma guitare, ma basse, mon ordi et je développe des idées. En amont des résidences, je préparais toutes mes idées, j'exportais des pistes séparées. Je leur disais : “Amusez-vous les gars. Si vous voulez rajouter des choses, enlevez, proposez, accélérez ou ralentissez, passez à une autre tonalité…” Au fur et à mesure des journées, on avait des versions alternatives, on avait des choses qui se rajoutaient et à la fin des résidences, je récupérais toutes leurs idées, je me renfermais dans ma chambre et je retravaillais dessus. Après deux semaines de résidences, on a eu suffisamment de mots pour que je puisse aller les proposer à Clément au studio. Et à partir de là on a tout refait avec des instruments acoustiques de bout en bout.

Il y a beaucoup de titres où tu parles de ta maman. Quel rôle a-t-elle joué dans ta construction musicale?

Ma mère a toujours encouragé ma sœur et moi dans nos envies créatives et artistiques. Quand elle était plus jeune, elle dessinait des vêtements, maintenant elle est prof d'arts appliqués. Même mes grands-parents, avec qui on a grandi, qui ne considéraient pas la musique comme un vrai métier ont changé d’avis grâce à ma maman. Je n’ai pas tellement grandi dans un environnement musical, je pense que ma mère aime bien la musique, mais elle n'a pas forcément des artistes préférés. Quand j'étais petit, on écoutait pas mal la radio en voiture, RTL2 par exemple ou encore Nostalgie. Ce sont des moments de musique que j’ai partagés avec elle.

Sur le titre “Le pire” que tu as écrit pour ta maman, il y a des sonorités bossa nova. Pourquoi avoir fait ce choix sur ce morceau en particulier ? 

Il y a plusieurs raisons. Déjà, ça me fait beaucoup penser à l'album d’Henri Salvador et c’est un album qu'on écoutait avec ma mère et mes grands-parents quand on partait en vacances. Aussi, aupinard m’avait raconté une histoire où il était parti faire du skate et n’était pas rentré dormir chez lui. Tout son entourage s’était inquiété et était parti à sa recherche. Ils sont partis jusqu’au commissariat alors qu’il allait super bien. Il faisait juste du skate et n’avait pas donné de nouvelles. Je me suis rappelé que j'avais eu le même genre d'embrouilles avec ma mère parce que je ne pensais jamais à la prévenir. Avec le temps, j'ai compris à quel point j'avais dû la blesser en faisant ça. J'étais un ado, donc je me rendais pas compte.

Sur plusieurs titres, tu parles de Dieu. Est-ce que ta musique représente une certaine forme de spiritualité ou de quête intérieure ? 

Pas vraiment. Les références que je fais à Dieu sont liées à des scènes que j'ai vécues dans mon enfance. Devant mon école primaire, il y avait une église, J'avais plein de copains qui allaient à la messe, qui avaient fait leur communion. Je voyais ça de loin parce que dans ma famille, ils ne sont plus vraiment pratiquants et/ou croyants. Mon papa est décédé alors que je n’avais qu’un an. Je ne l'ai donc jamais connu, mais il y a un moment dans mon enfance où c'est devenu douloureux d'un coup. À ce moment-là, j'ai essayé de me mettre à prier. Je rentrais chez moi et je me mettais au bord de mon lit, je priais, je pleurais, j'étais triste. J'ai essayé de trouver de l'aide parce que quand j'étais petit, je n’étais pas forcément très bon pour exprimer ce que je ressentais avec ma mère et mes proches. Ensuite en grandissant ça m’est passé. Aujourd'hui, je n’ai pas de pratique religieuse. Je réfléchis à ma spiritualité, mais je ne me suis pas trouvé encore dans une religion. 

L’outro du titre “Lowkey” est très intéressante. Elle me rappelle les années 2000, avec les harmonies, les voix superposées - presque comme du gospel. Tu as un lien particulier avec la musique gospel ?

Je ne suis pas un super connaisseur de gospel, mais j'ai un ami qui s'appelle Cyprien Zeni (qui avait fait The Voice il y a quelques années) et qui m'a fait découvrir Marvin Sapp. Je suis devenu trop fan de sa musique. C'est un style de musique que j'ai adoré : l'atmosphère, la ferveur, l'implication, la trance… J'étais tellement impressionné par ça. J'ai eu une approche très institutionnel de la musique et au sein de ma famille, on n’est pas des gens extravagants. Là, c'est tellement l'inverse ! T'ouvres au maximum toutes les vannes émotionnelles. Il y a une période où j'ai chanté dans une chorale gospel. C’était très beau parce que tu as cette énergie de groupe qui te prend. D’ailleurs pour la sortie de mon précédent EP Respire Bye Bye en 2022 au Hasard Ludique, on avait plein de choristes. Il y avait justement mon ancien prof de chant qui était là. C’était super.

Quelles ont été les réactions de tes fans qui t'ont le plus touché depuis la sortie d'album ?

Le truc qui m'a fait trop plaisir et auquel je ne m'attendais pas du tout, c'est qu'il y a plein de gens qui ne m'ont pas du tout parlé de musique. Ils m'ont juste parlé du fait que les histoires avaient résonné en eux et qu'ils étaient touchés par mes textes et par ce que je raconte. C'est la première fois que mes textes ont autant résonné avec mon public. Jusqu'ici, j'avais un peu l'image du petit geek de la musique. Avant, je ne m'autorisais pas vraiment à être touchant ou même à être touché par ce que j'écrivais. J'avais une certaine pudeur vis-à-vis de ça et je pense qu'avec cet album, j'ai réussi à déplacer cette pudeur et pouvoir juste parler sincèrement de ce que j'ai vécu. Mes musiques ont même beaucoup changé mes relations avec mes proches, avec ma mère, avec Mumu, avec ma sœur. Un voile de poudre a été levé sur des choses et je sens qu'on est plus intimes maintenant. Ça nous a donné envie de parler de sujets durs, qui nous concernent personnellement, et d'une manière plus apaisée, plus bienveillante. Donc ça a été les montagnes russes émotionnellement mais ça m’a fait avancer en tant que personne.

Propos recueillis par Makia Mina

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