Mee Shel: “J’ai pris ma musique au sérieux plus rapidement que ce que j’avais prévu”

Photographie: @njeri_n

Baignée dès l’enfance dans les sons choisis par son père, Mee Shel a grandi au sein d’une famille de musiciens expérimentés. Aujourd’hui, elle trace peu à peu sa propre voie, en façonnant un univers musical personnel nourri de ses influences R&B et soul anglophones. Son premier EP In My Mind, sorti en 2023, est, selon ses mots, “un hommage à [sa] moi de 10 ans”. Avec des textes en anglais, ses productions aux accents R&B des années 90-2000 et sa pochette au look rétro, ce projet nous replonge instantanément dans l’époque des Destiny’s Child. En février 2025, elle revient avec un deuxième EP Le Temps Qui Passe dans lequel elle réussit le pari de faire revivre la nostalgie R&B à sa manière, grâce à ses influences nouvelles, accompagnée de nouvelles collaborations. De nouveau, elle mélange français et anglais pour livrer des textes poignants et ciselés, dans lesquels elle explore notamment les défis d’être mère tout en poursuivant sa carrière artistique. La chanteuse y aborde aussi les thèmes de la vieillesse, du doute et des compromis du quotidien. On la retrouve en duo avec Tuerie sur le morceau “Vendredi”, une collaboration autour de la procrastination et de la paternité. Mee Shel est une artiste en pleine évolution, qui nous ouvre grand les portes de son univers sensible et singulier.

Pour commencer, je m’interroge sur l'histoire derrière la cover de ce nouvel EP. Peux-tu m’en raconter les coulisses ?

C'est mon shooting de maternité tout simplement. Cette photo-là, elle ne devait pas être dans le shoot. C'est vraiment la photo d'un moment, on a fait une pause parce que je n'en pouvais plus et j'avais besoin de manger. On a fait des pâtes et je me suis mise à manger et ma pote, la photographe, N'Jéri Njuguna m'a dit: “Attends, je vais te faire une photo, c'est sympa là.” Finalement, cette photo est celle qui a le plus plu dans le shoot. Au début, moi, je suis en mode: “Vous êtes des fous, il y a plein de photos qui sont bien. Vous préférez une photo où je mange des pâtes ?” N'Jéri a fait de nombreuses séries photos avec des femmes enceintes. Personnellement, je voulais un shooting photo qui me ressemble, qui soit un peu extravagant. Je ne voulais pas d’un shooting photo avec le drap, la couronne de lumière, les trucs comme ça. Je voulais vraiment un truc qui retranscrive mon identité. Elle s’est retrouvée avec une petite pile de photos et a décidé d'en faire une expo qui s'appelle Motherhood. Lors de l’exposition, je me suis retrouvée devant cette photo pour la 1 000ᵉ fois, mais, cette fois-ci, imprimée en grand format. Je me suis dit: “Non, franchement, elle pète.” Vraiment, elle est marquante cette photo. J'étais justement à l'étape de la création de mon projet, j'avais pratiquement tous les sons, mais je n'avais pas le titre et je n'avais pas la cover. Je n'avais aucune idée d’où je voulais aller parce que je n'avais pas encore compris. Il n'y a pas plus représentatif de qui je suis. Et puis, c'est aussi hyper révélateur de choisir cette photo-là comme cover parce que c'est une partie de ma vie, qui est très privée, très intime, que je dévoile de prime abord. Le public a vu la cover avant d’entendre le projet. Donc, avant qu’il sorte, la première information que je donne, c'est que je suis maman. Donc, c'était hyper vulnérable pour moi de choisir cette photo-là.

Chaque moment que j'ai choisi de passer au studio, c'était un moment que je ne passais pas avec ma famille.

Tu avais dit que ton premier EP était un hommage à la toi plus jeune. Celui-ci semble être un hommage à ta fille. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

C'est marrant, il y a beaucoup de personnes qui pensent que c'est un hommage à ma fille. C'est une introspection sur les choses qui me sont arrivées et qui ont fait que j'en suis là où j'en suis aujourd'hui. J'ai commencé par sortir mon EP In My Mind, qui a eu plus de succès que ce à quoi je m'attendais. Je me suis retrouvée plus rapidement que prévu à aller à des soirées mondaines, à être entourée d'autres artistes ou à faire des séances studio avec des artistes. Ce qui fait que j’ai pris ma musique plus au sérieux plus rapidement que ce que j'avais prévu. Donc forcément, ça implique de faire des sacrifices. Je me suis dit qu’au lieu de kiffer faire de la musique dans ma chambre, je devais me retrouver à aller au studio en courant parce que j'ai une opportunité qui se présente, parce que je dois avancer. Chaque moment que j'ai choisi de passer au studio, c'était un moment que je ne passais pas avec ma famille. C'était un moment que je ne passais pas avec ma fille ou mes amis. Ma fille faisait sa vie pendant que je n'étais pas là. En 2023, j'étais sur mon ordinateur, j'étais en train de bosser le mix de Le temps qui passe, j'ai reçu un SMS de ma mère qui m'annonçait que mon grand-père était décédé. Une demi-heure avant, comme chaque jour de ma vie depuis les cinq dernières années, je n'arrêtais pas de me dire qu’il faut que j'arrête de bosser et que je prenne un billet d'avion pour aller en Martinique — puisqu'il habite en Martinique — et que j'aille voir mon grand-père parce que la dernière fois que je l'ai vu, c'était en 2020, avant que je tombe enceinte, et qu'à chaque fois que je l'appelle, j'ai l'impression qu'il prend cinq ans et qu’il est de plus en plus fatigué. J'ai regardé le message et je me suis dit: “Merde.” J'ai posé mon téléphone et je suis retournée sur mon mix. Ça m'a fait prendre conscience que quand quelqu'un décède, tu as l'impression que les choses te glissent entre les mains. Tu as l'impression que tu n'as pas le pouvoir. C'est seulement quand il y a un événement catastrophique ou vraiment marquant comme celui-là qu'on en prend conscience. C'était surtout ça que je voulais retranscrire dans ce projet-là, ne pas avoir peur de faire les choses, prendre conscience et agir un peu plus intelligemment, faire des choix moins impulsifs.

EP “Le Temps Qui Passe” (2025) • Photographie: @njeri_n

Dans les crédits de l'EP, j'ai noté qu'il y avait une équipe de musiciens et vocalistes assez variée. Comment se sont passées ces différentes collaborations ?

Tout s’est fait assez naturellement. J'ai rencontré la plupart des personnes avec qui j'ai bossé au travail. J'ai rencontré Lablue sur son propre concert. On s'est bien entendu, on s'est suivi sur les réseaux sociaux quand j'ai eu besoin de lui, j'ai pris au mot ce qu'il m'a dit et je l'ai contacté. Chaque personne qui a contribué ce projet, je l'ai contactée pour une raison précise. Je savais exactement ce que je voulais et je savais exactement à qui le demander. Par exemple, je savais que sur “Combien Je T’aime”, je voulais de la contrebasse et je sais que mon père en fait. Pareil pour Denzel Mackintosh. Je lui ai demandé de composer ce projet avec moi parce que je savais qu’il a un peu cette vibe fouillis et funky. C’était ce que je recherchais parce que mon inspiration, elle venait d’un peu de partout, des années 70, des années 80, un peu de ceci, un peu de cela. Denzel a les mêmes inspirations, donc il allait avoir exactement les outils dont j'avais besoin pour pouvoir m'accompagner. Aussi, on se connaît et on s'entend bien, donc je savais qu'il allait comprendre mes idées parce que j'ai parfois beaucoup de mal à les expliquer. Pour Tuerie, il m’a envoyé un DM en 2019, dans lequel il me proposait d'écrire pour moi. À l'époque, je ne faisais pas encore vraiment de la musique, j'avais posté, je crois, une seule cover sur Instagram. Je ne savais pas qui c'était à l'époque, parce que je suis une vieille meuf. Je lui ai dit: “Je ne fais pas de musique, mais c'est gentil d'avoir proposé.” Et après, quand je l'ai découvert avec Papillon Monarque, et après avoir écouté tout le reste, je suis devenue fan directement. Je lui ai demandé de jump sur mon titre “Vendredi”. La paternité, les sacrifices, la procrastination, ce sont des sujets qui lui parlent.

À quel âge as-tu commencé la musique ?

Officiellement, à 12 ans, je crois. Même avant, de ce que mon père m'a dit j’avais 10 ans. J'ai toujours fait de la musique. Parce que je viens d'une famille de musiciens, mon père est musicien. Il est aussi auteur-compositeur et il avait son propre studio à la maison. Comme il faisait tout à la maison et que je le regardais faire, je faisais tout comme lui, tout le temps. J'ai le souvenir d’apprendre à jouer de la guitare au collège en sixième, donc je devais avoir 11, 12 ans, mais il m'a rappelé, il n'y a pas très longtemps que j'avais posé des voix pour lui sur des maquettes.

Dans une précédente interview pour MoodBoard Session, tu mentionnais ton papa à plusieurs reprises. Qu’est-ce que sa musique représente pour toi?

Sa musique représente l'école, j'aimerais le dire comme ça. Ça m'a appris beaucoup de choses parce qu'à l'époque, je n'avais pas trop de regard dessus. Je me disais juste: “C'est le métier de mon papa, c'est sa musique.” Aujourd'hui, c'est comme une école pour moi parce que je me dis que c'est dingue de ne pas en avoir eu conscience quand j'étais enfant. Aujourd'hui, quand j'écoute ma propre musique, les influences que j'ai, beaucoup me viennent de mon papa et de sa musique et des inspirations, aussi folles soient-elles, qu'il a prises un peu partout. Ça représente de l'éducation, je pense.

Il est de quelle origine et d’où a-t-il puisé ses inspirations?

Mon papa est Guadeloupéen. Il a pris ses inspirations d’un peu partout. Je sais que c'est un grand jazzman. Il aime beaucoup le jazz, donc forcément, il a beaucoup puisé aux États-Unis. Je sais qu'il est très fan de George Benson, Michael Jackson, Stevie Wonder, mais il faisait beaucoup de musique caribéenne. D'ailleurs, maintenant, il fait ce qu'on appelle du jazz caribéen. C'est un mélange très intéressant entre le jazz et la musique caribéenne, que j'aime beaucoup. Il puisait, comme moi, ses inspirations dans ce que faisaient ses parents aussi, parce que mon grand-père et mon arrière-grand-père, mes oncles et mes grands oncles faisaient eux-mêmes de la musique. De ce que je sais, mon grand-père avait un groupe, formé avec mon père, mon oncle, ma grand-mère et des amis musiciens. À l'époque, il y avait beaucoup de bals populaires. Des groupes qui connaissaient toutes les chansons à la mode étaient très demandés parce que tout le monde ne pouvait pas se payer Johnny pour son mariage. Ils apprenaient tout, tout ce qui était populaire. C'est là que mon père a appris la musique, quand il avait 11 ans. Après, rapidement, un peu comme chaque artiste, il a été appelé à droite, à gauche, pour des enregistrements, pour des concerts ou des tournées.

A-t-il déjà été impliqué de près ou de loin dans ta musique ?

Bien sûr. C'est lui qui joue de la contrebasse sur “Combien Je T’aime”. La toute première chanson que j'ai sortie qui s'appelle “Pou You” est une cover d'une de ses chansons présente sur son premier album. Quand j'ai commencé la musique, je lui ai demandé beaucoup de conseils sur ma musique. “Est-ce que je m'en sors bien ? Est-ce que je fais bien ci ? Est-ce que je fais bien ça ?” Au bout de la quatrième fois, il m'a dit: “Ma belle, tu sais faire, tu n'as plus besoin de mes conseils, donc, vraiment, tu peux te débrouiller.” Et c'est ce que j'ai fait. Je me suis débrouillée toute seule et je ne me suis même pas rendu compte que je n'ai plus intégré mon père dans ma musique à partir de là. Quand je lui ai envoyé “Combien Je T’aime”, il m'a dit: “Il est sympa ce titre”. Il n’a entendu le produit final que quand il est venu à la sessions d'écoute. Je ne me suis pas rendu compte que ça faisait un moment que je ne lui demandais plus parce qu'il a tout découvert sur le tas et il était bouche-bée.

Quelle a été la chanson la plus difficile à écrire sur cet EP ?

Je pense que c’était “Vendredi”, parce que je suis partie sur une vibe nouvelle et totalement différente de ce que je connaissais. J'ai l'impression d'inventer un truc, qui existe déjà depuis un moment, mais que je n'avais jamais entendu. Je ne savais pas sur quoi me baser comme inspiration. C'était très, très difficile. Au début, j'ai commencé avec des toplines que je trouvais louches. Je me suis dit: “Est-ce que ça passe ?” Finalement, on a tout gardé. Tous les trucs que je trouvais chelous, on les a gardés. C'était difficile à écrire parce que c'était tellement différent. Je ne savais pas quoi en faire, je me suis questionnée du début à la fin. C'était difficile à topliner, mais, pour l’écriture, pas tant que ça. Parce qu'une fois que j'ai su où je voulais aller avec mes toplines, c’était bon. En général, quand j'écris, je vais avec le premier yaourt que je fais. Je crois que le premier que j'ai fait, c'était: “J’le ferai demain.” “Le Temps Qui Passe”, il a aussi été difficile à écrire parce que j'avais la topline mais c'était difficile de trouver la bonne forme pour ce que je voulais dire. Dans le même temps, c'était cool parce que c'était un challenge. Ça m'a pris des mois à trouver une formulation qui sonne bien et qui a du sens. Ça a l'air facile d'écrire comme ça, mais ça ne l'est pas tant que ça. On veut raconter notre vie, mais il faut que ça ait du sens autant qu’il faut que ça rime ou que ça ait du punch, que ça sonne bien à l’oreille. C'est ça le plus difficile.

Sur le titre “Someone Like You”, tu rappes un petit peu et tu chantes en anglais. De manière générale, on sent beaucoup l'influence américaine sur ton EP. Est-ce que tu avais déjà envisagé de faire un projet 100% en anglais ?

Oui. Mais comme je suis en France et que je suis Française, on a attrapé ma veste (rires). C'est ce que je trouve curieux parce qu'on écoute beaucoup de musique anglophone, on écoute beaucoup de musique hispanophone. Quand je chante en créole, ça ne me pose pas de problème parce que c'est ma langue natale. Mais je ne sais pas. La France a beaucoup de mal avec les langues étrangères parce que, pour eux, ça veut forcément dire exportation alors que pas nécessairement. En gros, ce qu'on m'a beaucoup dit, c'est: “Vas-y, ne cherche pas à t'exporter, ça ne sert à rien parce que ça ne marche pas, reste ici, c'est mieux pour toi. De toute façon, tu n'y arriveras jamais.” C'est un message qui est beaucoup revenu. “Développe-toi en français. Tu es française, tu habites en France, focus-toi sur la France et fais que du français. En plus, les Français, ils parlent pas anglais, ils s'en foutent”. Dans ce cas, pourquoi vous écoutez Rihanna ? Pourquoi vous écoutez Beyoncé ? Pourquoi Beyoncé a fait un stade de France ? C'est la France entière qui est sur pause. Pourquoi vous vous mentez ? Il y a cette espèce de frein qui m'est mis de ne pas vouloir m'exporter alors que quand j’écris en anglais, ce n'est pas nécessairement par volonté de m'exporter. C'est juste que mes influences, elles me viennent de partout et que j'ai envie de les appliquer. Si certaines de mes chansons me viennent en anglais, j'ai envie d'écouter mon instinct et d'écrire en anglais, tout simplement.

Il y a des artistes anglophones avec qui tu aimerais collaborer ?

Grave. J'aimerais beaucoup bosser avec Sasha Keable, Doechii, Lucky Day, Victoria Monet…

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

Franchement, des tales. Des tales pour que je puisse manger et développer ma musique parce que j'ai envie de faire encore plus de choses, des choses encore plus grandes. J'aimerais pousser ma musique au maximum et pouvoir la soutenir avec des visuels qui leur donneront plus de sens. Donc, la réussite.

Mee Shel a sorti l’EP “Le Temps Qui Passe” le 24 février 2025.

Propos recueillis par Makia Mina

Suivant
Suivant

ÉNAÉ: “Je rêvais d'être là où j'en suis maintenant”