Léonie, prêtresse sonore d’une divine énergie

Crédits: Nina Baldetti

Divine Energy Deluxe révèle une matière sonore vivante, presque palpable, tissée subtilement entre racines soul, des silences pesés et une spiritualité diffuse qui n’a rien de décorative. La voix de Léonie témoigne d’une tension douce, un entrelacs de contrôle et d’abandon. Cette montée en puissance, autant narrative que vibratoire, se veut, pour la jeune chanteuse, comme crédo d’une liberté complète. “Je veux que les auditeurs puissent retranscrire ce qu’ils veulent, qu’ils soient vraiment libres”, exprime-t-elle, lors d’un entretien mené dans un café parisien. Entre les textures moirées d’un R&B ambient, la frappe syncopée de productions minimalistes et les éclats de vulnérabilité affirmée, “Divine Energy compose une œuvre sensible, flottante et intuitive. Rencontre avec une artiste qui a su trouver sa patte à raison de jams et de réflexions sur les énergies.

Depuis quelque temps, tu associes ta musique à des visuels poussés, surtout avec Bobby Afonso. Qu'est-ce que cette partie de ton travail représente pour toi ?

J’ai commencé à en faire il y a environ deux ans avec la volonté de mettre une image sur mon identité musicale. Je trouvais que ça permettait au public de mieux comprendre à quoi correspondait la “Divine Energy” mais aussi de les plonger dans l’histoire d’une autre manière. Avec Bobby, j’ai fait mes plus gros clips: “Best Mistake”, “Cinnamon” ou “Floating”. Ce sont les morceaux que je ciblais car, selon moi, ils sont les plus parlants et avec le plus fort potentiel d’impact.

Ta musique a un aspect très visuel, ta narration est aussi cinématographique. En matière de réflexion sur ta musique, quel rôle est-ce que ça prend?

C’est vraiment à travers la musique que je peux écrire et qu’ensuite je réfléchis à des visuels. Les idées liées au clip ne viennent jamais en premier. Le ressenti que j’ai en écrivant mes chansons va guider mes idées visuelles. J’essaye de traduire la même énergie. Quand le morceau parle d’une histoire d’amour, je veux la mettre en scène. Au début, par le biais de clips “grossiers” en matière de subtilité, mais, désormais, j’ai de plus en plus envie d’avoir des clips dont l’esthétique me fait kiffer, tout en restant dans le thème.

Un autre aspect que je trouve très intéressant par rapport à ta musique, c’est son rapport au live. Tu as eu, ce qui avait l'air d'être un super concert à la Boule Noire mais aussi une grande expérience des jams. Qu'est-ce que ça t'apporte en termes de créativité ?

Le live est la chose la plus importante pour ma musique. C’est là où je me sens le plus libre. J’ai l’impression d’être ancrée dans le réel et l’irréel quand je joue. Ce n’est pas un sentiment palpable. Je fais des jams aussi le dimanche, aux Disquaires, qui me permettent de découvrir de nouveaux artistes, de voir comment ils bougent et chantent sur scène. T’es inspiré de pleins d’artistes, de gens tellement talentueux, de musiciens aussi, c’est ça qui fait vivre la musique. Je trouve que le live n’est pas assez mis en avant. De pouvoir allier les deux m’apporte clairement une plus-value. La Boule Noire, c’était une dinguerie. Le plus beau concert de ma vie. Il y avait une énergie folle entre le public, les musiciens et moi. L’expérience des jams et des précédentes scènes a permis ça.

C’était ta plus grande scène solo jusque-là, comment tu t’es sentie ?

C’était la première fois qu’un public venait vraiment pour me voir. C’était fou, je n’y croyais pas. Quand j’ai commencé, je n’imaginais pas que ça puisse arriver si tôt, c’est incroyable.

Pour revenir sur l’expérience des jams, est-ce que le fait de jouer avec de nouveaux musiciens à chaque scène t’a permis de rencontrer de nouveaux instrumentistes avec lesquels faire de la musique en studio ?

Les jams m’ont permis de rencontrer plein de personnes et un milieu musical que je ne connaissais pas du tout. Beaucoup de talents, dans un art particulier. Avec mon statut d’organisatrice, j’avais aussi un rôle différent. Comme je suis à l’initiative, les personnes viennent me parler plus facilement. Le batteur avec lequel je travaille fait partie de ces rencontres, le claviériste aussi. Presque tout le monde finalement, sauf le bassiste.

Tu te souviens de la manière avec laquelle tu es venue à la scène ?

J’ai toujours aimé la musique, j’ai toujours chanté, même bébé je hurlais (rires). Mon père fait de la musique par passion, il jouait de la guitare et du piano. On en écoutait beaucoup à la maison, on dansait beaucoup aussi donc j’ai baigné dans un environnement très porté sur la musique, assez libre où tu es à l’aise avec ce que tu peux créer. Par la suite, j’ai pris des cours de guitare. C’est grâce à ces cours que j’ai pu faire des concerts et puis au fur et à mesure, j’ai écrit mes premiers morceaux et poèmes puis fait mes premières scènes où je faisais des covers. J’ai aussi fait du théâtre très tôt, ce qui m’a permis d’être très à l’aise avec la scène. Tout est combiné pour que je puisse briller sur scène (rires).

De quelle manière ces expériences de jam avec les musiciens qui t’accompagnent ont influencé la production de “Divine Energy” ?

Les jams permettent d’être créative sur l’instant, comme un freestyle. Quand on fait de la création musicale, toutes nos idées fusent en même temps. En fonction de ce qu’on aime, on pioche dans ces idées. Sur une idée, on poussera vers des arrangements hip-hop influence Kendrick Lamar, sur d’autres ça ira dans d’autres directions. Eux ce sont des musiciens qui sont passés par le conservatoire ou l’école de musique, ils ont les connaissances en théorie musicale et ont donc ce bagage.

Il y a un équilibre subtil entre R&B, soul et parfois des touches plus éthérées dans ton univers. Comment est-ce que tu synthétises le tout ?

C’est assez naturel dans le sens où je me dis que j’ai envie que ma musique me fasse ressentir des émotions précises. Je ne réfléchis pas en termes de style musical, c’est assez libre. Là justement, après “Divine Energy”, je me situe plus dans quelque chose de plus recherché, j’essaye de trouver ce qui me ressemble. Je me rends compte qu’aujourd’hui, il y a des styles musicaux que j’ai envie de plus “franchir”. Pour certains morceaux que j’ai sortis, tu peux entendre des inspirations qui sont inconscientes. Tu peux entendre du Jill Scott, du Isaiah Rashad ou du Kendrick Lamar, mais je ne vais pas écouter un artiste en me disant que je vais reproduire les mêmes sons.

Sur “Divine Energy”, je trouve ta gestion des silences très pertinente. Ils convoquent une sensation d’apesanteur qui définit ta musique.

Déjà, ça me fait super plaisir. Même si, pour être honnête, je ne saurais pas vraiment comment expliquer ce travail. Cette sensation peut s’expliquer par l’énergie que j’ai envie de transmettre. J’ai envie que ce soit le plus proche de la personne et de ce que je pourrais écouter aussi. J’aime pas forcément quand mes morceaux sont surchargés, j’aime qu’ils soient planants, te permettent de t’évader. “Floating” dans ce registre est une ode à la reconnexion avec soi-même. Chacun de mes morceaux est bâti avec la volonté d’être puissant dans l’énergie qu’il dégage. J’ai envie que le public ressente ce que j’y ai mis et l’amour de la musique dans mes morceaux.

En parlant d’énergies, tu t’es introduite dans le milieu de la musique avec ta “Swag Energy”. Avec cet EP et sa version deluxe, tu passes à la “Divine Energy”. Est-ce que c’est une sorte de statement d’évolution ou il y a un sens plus précis derrière ?

C’est un peu une manière de faire étape par étape. La “Swag Energy”, c’était la première énergie que j’ai pu ressentir dans la musique. C’est le premier morceau que j’ai sorti. Au fur et à mesure, a émergé l’idée qu’il n’y avait pas que cette énergie. Les gens sont tellement riches en émotions, tu rencontres et t’inspires de tellement de personnes. Ma vision de la vie est assez positive, je me suis dit que c’était tellement divin que c’était la “Divine Energy”. J’ai envie que ma musique soit aussi bien et que le public voit quelque chose de divin, de beau, de pur dedans. J’ai envie de la transmettre. Je me sens en paix, j’ai envie que cette paix intérieure soit distribuée, que quand ils écoutent mes morceaux, ils soient en paix.

Souvent, les concepts s’accompagnent de récits narratifs liés. Une caractéristique qui n’est pas très présente dans ta musique jusque-là.

Oui ma musique n’est pas si conceptuelle que ça. Après, chaque titre a quand même sa part dans l’histoire que je raconte. Ce n’est pas pensé en histoires, c’est juste que chaque morceau parle d’une étape précise d’une période vécue et de la manière dont je me suis sentie à ce moment-là.

Donc c’est une écriture et une création très ancrées dans le présent ?

Plutôt oui. Les derniers morceaux de mon projet revenaient sur des événements passés mais dedans j’y raconte comment je me sens maintenant. J’ai du mal à me situer dans le passé. La manière dont je ressens les choses, je ne peux la restituer correctement que dans le moment présent. Sinon, j’ai l’impression que ça fait faux. Désormais, j’ai l’impression d’être plus ancrée dans le présent et d’avoir des objectifs aussi qui me projettent vers le futur.

Comment décides-tu de ce que tu veux révéler de toi dans un morceau et de ce que tu préfères garder pour toi ?

Ce travail se situe dans les mots que je vais employer. J’utilise pas mal de métaphores. Je me dévoile tout en gardant une part de secret. J’ai l’impression de dévoiler des choses très personnelles mais de les dire d’une manière pas forcément très flagrante. Je ne vais pas dire ‘Je suis triste’ mais plutôt ‘Je me sens flotter’ pour exprimer ce sentiment par exemple.

Quel est le morceau où tu t’es autorisée à être la plus nue dans l’expression de tes sentiments ?

“Best Mistake” a été le morceau le plus compliqué à écrire parce que c’était vraiment la fin d’un chapitre, que je devais exprimer à travers des paroles. C’était compliqué parce que j’avais envie de raconter certaines choses, d’être plus trash que ce que j’ai pu écrire. Mais, c’était plus compliqué à écrire car j’avais envie que les mots illustrent précisément mon ressenti.

Quelle émotion as-tu encore du mal à mettre en musique ?

L’egotrip. Ce n’est pas vraiment une émotion, mais j’ai encore du mal à me sentir d’en faire. Parfois, j’ai envie de parler de comment je me sens et comme je me sens bien après je me dis que c’est peut-être trop personnel, trop moi et j’ai donc l’impression que c’est trop égocentrique et que ça ne va pas parler aux gens. J’ai envie que ça puisse laisser la liberté à l’imaginaire.

Tu penses que c’est de la pudeur ?

Oui, complément. Mais, là j’ai fait un morceau, qui sera mon prochain single, qui est beaucoup plus dans ce sens-là. Je pense que c’est le seul que je ferais dans ce style. Parce qu’il s’est passé plein de choses et que je suis fière de moi. J’ai envie d’être une star, de faire des tournées. C’est de la manifestation.

Tu l’as fait après ta Boule Noire ?

Oui, complètement (rires). C’est la musique, je suis trop fière de faire ce que je fais.

Tu parlais de tournées au Royaume-Uni et, sans revenir sur le sempiternel débat sur le choix de la langue, je me demandais comment tu situes ton travail par rapport au R&B à la française et surtout par rapport au R&B anglosaxon et américain ?

D’abord, je veux dire que la raison pour laquelle je chante en anglais n’a pas d’explication. On a grandi en France, sans beaucoup de représentations d’artistes noirs qui fait la musique que j’aime. Notre culture, c’est le R&B, la soul. À force de regarder des vidéos de Rihanna, Beyoncé, tu te dis que l’anglais c’est beau. Puis, c’est la culture, ça vient de là-bas. Ma musique est donc beaucoup plus proche de la culture US que de la culture française. Mais, c’est en train de se développer. Les gens deviennent plus ouverts, avec moins de barrières entre les genres. Je compte me faire une place dans le monde de la musique en France mais je suis encore trop émergente pour pouvoir me situer. Ce que je remarque, c’est que quand j’ai commencé, je n’avais que des auditeurs américains ou anglais. Là maintenant, la France est repassée devant.

Tu te verrais plus faire carrière là-bas ?

Mon grand rêve serait de vivre aux Etats-Unis, sur le plan musical du moins. Mais, j’aimerais surtout que la France ouvre les yeux et que je puisse rester ici. Devoir déménager pour faire entendre ma musique, ce serait étrange.

Je parlais récemment avec Enchantée Julia de ce rapport au sens des mots et de la compréhension du public qui peut parfois être à l’opposé avec le sens des paroles, comment tu te places par rapport à ça ?

Pour moi, chacun a sa propre traduction de la musique. Si ils le prennent d’une autre manière, je trouve ça juste beau parce que ça veut dire qu’ils se sentent concernés par l’énergie de la musique ou le tempo et que ça devient, d’une certaine manière, personnel pour eux. Je veux que les auditeurs puissent retranscrire ce qu’ils veulent, qu’ils soient vraiment libres.


Propos recueillis par Arthus Vaillant

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