AFFA: “Je veux que les personnes qui m’écoutent puissent se dire ‘ok je peux le faire’”
Crédits photos: soboyzz
Underground Music, Superstar Vision n’a rien de l’ornement. Pas une fuite, encore moins un refuge. Le deuxième EP d’AFFA s’écoute comme on lirait une vie, dans la continuité des gestes qui l’ont produite. Chaque morceau transpire la détermination, suinte l’âme et est parcouru par un amas de voix entendues au studio, auprès de sa famille ou dans ses écouteurs. Ce nouveau disque caractérise un pari fait sur l’avenir à un moment où tout devient intenable : les regards qui jugent, les injonctions de style, la manière qu’on a de ranger les artistes noires dans des cases, des sentiers balisés, des silences. Avec un disque pensé comme une déclaration d’indépendance artistique, sans jamais oublier ses racines, AFFA concentre l’énergie dans des morceaux courts et incisifs avec la dexterité d’un personnage qu’elle nomme comme une “exploratrice sonore” puisant tant dans le rap (espiiem, Hifi) que dans le néo-soul ou le gospel. Pour SHIMMYA, la chanteuse et rappeuse revient sur ce disque bâti en partie lors d’une résidence au Maroc, l’importance de sa vision et la force de sa détermination.
Le titre de l’album est percutant, presque comme un slogan. Peux-tu raconter l’histoire derrière ce choix et ce décalage dans l’intitulé ?
C’est exactement pour ça que je l’ai choisi. C’est totalement en décalage, en dualité entre l’underground (qui je suis de base, d’où je viens), et ce que je vise (superstar vision). C’est un mindset en soi, c’est quelque chose en lequel je m’efforce de croire. L’underground music et la superstar vision sont deux opposés que je veux assembler un peu comme le ying et le yang. Ce mix va créer ma réussite et garantir toute mon authenticité dans ce que je fais, ce que j’écris, ce que je chante, ce que je prône au quotidien mais aussi où je me vois spirituellement, émotionnellement, musicalement parlant. Parfois les gens ont un peu peur des opposés, alors que je considère, et je crois fort en ça, qu’il faut de tout pour trouver une stabilité. L’underground music ça fait partie de mes racines, d’où je viens, du style musical que j’écoute depuis petite. La superstar vision c’est ce que je vise à être. Il faut se dire que le monde est fait de choses belles et moins belles et avec ça on peut faire un artifice.
Que tu veux garder du premier si tu arrives au deuxième ?
Tout. Je ne veux pas faire de concession. Tout ce que j’ai emmagasiné, tous ces bagages, c’est ma force. C’est vrai que les gens ont tendance à se dire qu’il faut laisser de côté et oublier son passé alors que je le considère comme une force. Ce n’est pas forcément mal d’avoir souffert, d’avoir galéré, ça fait partie du jeu. Quand tu le vois sous un angle différent, tu te dis que tu peux créer à partir de cette douleur, de cette peine. C’est une force qui va m’aider à atteindre le haut niveau.
Tu as réalisé l’EP en résidence au Maroc. Comment s’est déroulé ce séjour ?
C'était ma toute première expérience, la toute première fois que je partais avec un groupe de musiciens, en plus à l’étranger et pendant plus d’une semaine pour ne faire que du son. Au départ, je partais avec une appréhension, en imaginant que je n’arrive pas à faire de bons morceaux ou trouver l’inspiration. Il faut qu’émotionnellement et mentalement parlant je sois en phase avec moi pour pouvoir créer et être fière de ce que je fais. Les artistes on est assez dur avec nous-mêmes. J’étais assez angoissée et en introspection, à me demander ce que je voulais sortir de ce voyage, de cette résidence. Mais, une fois sur place, ça s’est très bien passé.
Le déclic s’est fait tout seul ?
Franchement, oui. On a passé le premier jour à faire des petits tests voix, à créer avec mon compositeur et ma choriste. J’écoute des morceaux, l’inspiration me vient, j’ai des mélodies. En travaillant avec toutes ces personnes, j’essaye de nouvelles choses, je change des mots ici ou là, je teste et je vois que c’est en phase avec ce que je voulais initialement. Ce voyage, c’était pour sortir de notre cadre quotidien, du studio à Paris. C’était la destination la plus proche sur laquelle on planchait car on ne voulait pas non plus faire un long voyage comme c’était notre première résidence pour tous.
En t’écoutant, on a l’impression que tu as des années de carrière et de studio, alors que tes sorties datent de 2023. Peux-tu nous parler de ton parcours avant ce projet ?
Je me suis vraiment « professionnalisée » dans la chanson en 2019 lorsque j’ai rencontré un producteur qui voulait travailler avec une artiste en développement. Très naïvement, j’étais ok. Je me disais que c’était le moment de se lancer, j’avais cet appel à la musique. Je dis souvent que ce n’est pas moi qui ai choisi la musique, mais la musique qui m’a choisie. Même quand j’étais plus jeune et concentrée sur mes études, j’avais toujours cette petite voix qui m’attirait vers la musique. Cette expérience m’a permis de confirmer ce que je voulais faire et comment je voulais le faire. En revanche, j’ai toujours chanté, je faisais des petites vidéos sur Instagram mais ma carrière a commencé avec Echo.
L’album alterne entre des morceaux tranchants et des titres plus contemplatifs. Comment as-tu pensé cette tension dans la tracklist ?
Je m’inspire tout simplement du vécu de mon entourage et du mien et du message que je veux transmettre. Je suis quelqu’un qui conseille beaucoup mon entourage, qui me motive beaucoup mais aussi motive les autres. Je crois aussi énormément au destin. Je suis persuadée que quand tu ressens quelque chose, je te parlais plus tôt de cet appel pour la musique, c’est qu’il y a quelque chose à faire. J’ai envie de le transmettre dans ma musique. J’ai envie que quand les personnes m’écoutent elles puissent se dire “ok je peux le faire”.
Quand je t’écoute, l’image d’un rappeur comme Nipsey Hussle me vient directement dans cette combinaison entre foi et détermination.
Attention, ne me dis pas ça (rires). Tu sais, c’est un train de vie. Je n’ai plus le choix, je n’ai pas d’autres choix que de me battre, de réussir et de rester motivée. Même quand je me sens mal, quand c’est dur, je me dis que ça va le faire. Parfois je vis une situation, je me dis « pourquoi je fais ça ? Pourquoi j’ai choisi, pourquoi je m’inflige ça » mais c’est ok et il faut faire avec. Ça rejoint ce que je te disais sur la dualité, le bon/le mal, la souffrance/le bonheur, il y a toujours un juste milieu à trouver. Le monde est déjà assez compliqué, on est déjà assez dur avec nous-mêmes. Si tu véhicules un message, je trouve que c’est important d’avoir un message qui ne va pas rassurer les gens juste pour les rassurer mais qui va leur montrer que pour toi aussi c’est dur, que tu te remets en question et que, malgré tout, tu continues.
J’ai justement beaucoup la manière dont tu as présenté chaque morceau sur Instagram, comme une brique d’un tout cohérent où l’intention est exposée de la manière la plus claire.
C’est hyper important de pouvoir mettre un visuel sur des mots. Un artiste qui est plasticien, son processus de création, ce qui en sort c’est un objet une statue, c’est palpable tu peux le toucher. En revanche, la musique, ça te touche de manière spirituelle. J’avais trop besoin de faire comprendre et de montrer aux gens qui ont écouté ma musique, ce dont je parle et ce que je ressens quand j’écris, la petite bulle dans laquelle je suis. En plus, j’aime trop l’esthétique visuelle.
Cette vision globale était pensée dès le départ ?
Pour certains morceaux seulement. Mais parfois ça m’arrive d’avoir l’inspiration et l’image dans la tête lorsque j’écris et d’autres fois juste l’inspiration, la mélodie et ensuite l’image qui vient. Pour le morceau Le Pire, j’ai eu l’image et l’inspiration sur le moment lorsque j’ai écrit le morceau. Ce qui est drôle avec ce morceau, c’est que l’on peut interpréter de toutes les manières. Ça peut être considéré comme un morceau qui parle de la perte d’un être cher, alors que quand je l’écris, je m’adresse à moi-même, à la AFFA d’aujourd'hui qui se projette dans le futur et s’adresse à la AFFA du futur en se disant “je crains le pire, je sens que ça ne va pas”, mais dans ce message triste et mélancolique c’est un message de force. Je voulais à tout prix que dans le visuel on voit la AFFA actuelle, qui est là et se bagarre aujourd’hui, et la AFFA du futur qui se parlent.
Tu incorpores beaucoup d’éléments extérieurs : vocaux, extraits audio, références musicales ou cinématographiques. On l’entendait déjà sur N’na, et ça revient notamment sur No Pain No Gain avec Hifi notamment. Quel rôle porte ces emprunts?
Comme tu dis ce ne sont pas que mes proches mais aussi des artistes qui m’ont inspirée. Je considère que la musique est un partage. Ma musique, je veux qu’elle soit autant un partage en termes de message que de sonorité, de musicalité. Dans N’na, c’est la voix de ma grand-mère, qui est décédée. N’na veut dire maman. J’avais des audios de ma grand-mère qui chantait et ça me tenait à cœur de mettre sa voix sur ce morceau-là. Pour les autres morceaux aussi c’était une invitation à regarder d’où je viens, ce que j’écoute, c’est que j’aime, et en fait c’est varié. Je ne cherche pas à me mettre dans une case, dire que je suis une artiste seulement R&B ou soul, j’aime dire que je suis une exploratrice sonore, j’aime explorer et ça me tient à cœur de les partager. Sachant que tout est spontané, ça vient de l’âme, du cœur. Parfois je me lève, j’ai envie de faire un morceau rock ou reggae et je le fais si je suis inspirée.
Le titre Sous Mes Yeux m’a particulièrement marqué. Que peux-tu nous en dire ?
Il y a une partie que j’ai reprise, qui ne vient pas de moi mais d’Espiiem. Ce morceau est là pour raconter que j’ai vu des choses que je n’aurais pas du forcément voir, que j’ai traversé des moments que je n’aurais pas forcément du traverser en étant plus jeune. On voit tous des choses qui minent le moral, on essaye de se bagarrer, de s’en sortir autant dans le salariat que dans l’entreprenariat et je me suis dit qu’il fallait en parler. Tu ne peux pas juste être artiste et chanter de nouvelles chansons qui font du bien aux oreilles. C’est ça la vie.
Tes textes oscillent entre ambition et réalisme, il y a une phrase que j’ai notamment relevée : “J’aime mon quartier, j’aime encore plus en sortir”. C’est une phrase qui résume bien l’identité même du titre de l’EP.
Exactement. J’aime mon quartier mais je ne l’ai pas choisi mais j’ai fait le choix de l’aimer. Ce n’est pas pour autant que je ne veux pas en sortir. Quand je sors de mon quartier, je sors avec ce que j’y ai appris et les bagages récupérées. Mais j’ai envie d’en sortir, de voir de belles choses, m’émanciper et juste de suivre mon destin.
Tes morceaux ont une forte présence spirituelle, avec notamment l’intro et les Louanges de Manne. Comment qualifies-tu son influence dans ta musique ?
La religion est un socle pour moi, j’ai grandi dans ça, AFFA c’est la religion, c’est Dieu. Je n’ai pas grandi ni chanté à l’église. Pour le morceau d’introduction, c’est ma choriste Manne qui chante les louanges. Beaucoup de personnes ont cru que c’était moi, mais c’était bien Manne. C’est un morceau qui a touché beaucoup de chrétiens, car il a des influences gospel et en a capella. J’ai une relation assez solide avec ma religion et c’est pour ça que je parle beaucoup de Dieu dans mes morceaux.
Quels sons ont façonné ta première oreille musicale ?
Là je pense à Be Without You de Mary J. Blige. C’est un morceau qui est lié à un souvenir particulier parce que ma grande sœur écoutait beaucoup de R&B. On était obligé de rester ensemble parce qu’on était les deux premières et donc j’écoutais souvent ce qu’elle écoutait, donc beaucoup Mary J.Blige. On l’écoutait beaucoup dans l’avion pour aller au Sénégal. Je me souviens qu’il y avait un musicien derrière nous qu’on a retrouvé sur le vol retour trois semaines plus tard. Lorsqu’il nous a vus, il s’est retourné vers nous en nous disant « eh mais c’est pas vous qui écoutiez du Mary J Blige ? » C’est pour ça que je dis qu’il n’y a pas de hasard. J’écoutais aussi beaucoup Usher, Jazmine Sullivan…
Tu as été à son concert à la Salle Pleyel ?
J’ai même fait sa première partie (rires).
Je suis fou, mais bien sûr c’était toi. Ça s’est fait comment ?
Une personne de son équipe cherchait une artiste pour la première partie en dernière minute. On a été contacté par Live Nation. J’étais chez moi en train de faire à manger quand on m’a appelé, j’étais choquée. Je faisais des karaokés sur ses morceaux dans ma chambre. C’était ma première scène, c’était trop bien.
Ton premier concert à la Maroquinerie arrive à grands pas (le 24 septembre, ndlr). À quoi doit s’attendre le public ?
On est en train de tout peaufiner au niveau de la DA musicale, on va partir en résidence pour tout finir et filmer une live session. Après, ça va aller tout droit. J’ai trop hâte. C’est ma toute première date solo.
Le rouge de la pochette de ton album semble avoir une symbolique forte dans ton esthétique. Que représente-t-il pour toi ?
La couleur rouge est, pour moi, synonyme de détermination. C’est ancré, c’est quelque chose qui ne bouge pas. Selon moi, c’était cette couleur qu’il fallait utiliser pour le projet et pas une autre, ça annonce la couleur direct. Ce projet est authentique, parle de détermination, confiance en soi, estime de soi. Le rouge est une couleur forte, j’avais besoin que la couleur le soit autant que le message que je veux porter.
Tu parles de confiance en soi, mais également de tes doutes.
Je prends tout, tout ce que j’ai en termes de bagage, je le prends avec moi. C’est ma dualité. En prenant ces deux côtés, c’est comme ça que je suis le plus authentique et que je suis la plus vraie avec moi-même. Parfois c’est dur de se retrouver et d’être sûr à 100% de ce qu’on veut ou de ce qu’on est mais il faut être prêt à “combattre”.
Si on se reparle dans dix ans, qu’aimerais-tu que l’on retienne de ton parcours et de ce disque ?
J’aimerais qu’on retienne que je suis restée authentique, je n’ai pas changé. Je suis toujours la même AFFA, que je n’ai pas pris la grosse tête et que mon discours est resté le même. Mais aussi, que j’ai fini par atteindre mes objectifs.
Propos recueillis par Arthus Vaillant